A travers cet article, de nombreux maquettistes ayant fait leurs armes sur des modèles des années 80 vont se reconnaitre. Pour nos amis débutants (jeunes ou pas), ces quelques lignes peuvent être riches d’enseignements puisque qu’elles vont vous décrire à peu près tout ce qu’il ne faut pas faire… Et que nous avons à peu près tous fait.
Retour en arrière donc, séquence « nostalgie ».
Dans ces belles années 80 - avec le recul, hein, parce qu’à l’époque, elles ne semblaient pas si belles, ces années là… Dans ces années 80, donc, les maquettes s’achetaient chez le libraire du coin, pour quelques dizaines de francs (une poigné d’Euros pour vous autres les djeuns, ça va, la ramenez pas), sur un présentoir en dessous des majorettes. En clair, à hauteur des yeux et des mains de tout ce qui avait moins de 12 ans. Le choix était assez limité en modèles et en marques, mais les boxarts alléchants tapaient juste dans nos cœurs d’enfants.
Il y avait là essentiellement des maquettes Heller Humbrol, avec sur le couvercle une photo de la maquette terminée sur un fond dans les tons marron, façon pub de Whisky. Et puis les Matchbox, avec leurs fameuses grappes en 2 ou 3 couleurs, qui permettaient en théorie de se passer de peinture (beurk…).
Notre sympathique libraire, en plus des maquettes, vendaient tout ce qu’il fallait pour foirer convenablement notre modèle, à savoir :
- -De la colle en tube qui déversaient systématiquement des litres sur des pièces de quelques millimètres (il ne nous serait pas venu à l’idée à l’époque de faire autrement que mettre la colle directement sur les pièces, pauvre de nous…),
- -De la peinture à maquette de la gamme Humbrol (de bonnes peintures, mais comme il manquait toujours la bonne couleur, voir que nous nous foutions pas mal de respecter la bonne teinte, on avait à la fin des couleurs plus qu’approximatives…),
- -Et des pinceaux d’écolier, destinés à peindre avec de la gouache, et qui avaient la particularité de perdre leurs poils en les laissant collés, bien en évidence sur notre jolie (hum…) peinture.
Et c’est à peu près tout. Pour le reste, il fallait s’arranger avec ce qu’il y avait à maison, ou plus précisément dans l’atelier du papa, à savoir tout un tas d’outils et de matériels destinés au « bricolage », le vrai, le gros, celui pour les hommes. Donc tout un tas de machins pas du tout adaptés à la minutie et à la petitesse des pièces d’une maquette.
Ce que le jeune maquettiste arrivait à récupérer auprès de ses parents (hélas oui, la maman allait elle aussi souffrir de cette vocation naissante, c’est même souvent elle qui va la tuer dans l’œuf en voyant l’état de la table du séjour après la séance de peinture du fiston) :
- -Un cutter émoussé vingt fois trop gros
- -Des limes à ongles en carton (je vous l’avais dit, la maman était mise à contribution)
- -Du papier de verre (pour le bois, rayures assurées sur le pauvre plastique)
- -Du White Spirit (au mieux, parfois tout un tas de diluants pas du tout adaptés pour les peintures ennamels)
- -Des pinces à linge au serrage beaucoup trop puissant
- -Du papier journal pour protéger la table citée plus haut (ceux qui ont abandonné le maquettisme sous la pression parentale ont oublié cet accessoire pourtant indispensable)
- -Des tonnes d’essuie-tout
Avec tout ce matériel fièrement rassemblé, le jeune maquettiste en devenir se lançait donc dans l’ouvrage, avec l’impatience qui le caractérisait à cet âge et qui allait devenir sa marque de fabrique.
Etape 1 : Bien lire la notice.
Cette étape, le jeune maquettiste a tendance à s’en foutre. Grave erreur qui va conduire très certainement à :
- -Oublier de lester le nez de l’avion qui tombera systématiquement le croupion en arrière (de toute façon, à 10 ans, on ne sait pas ce que ça veut dire, lester)
- -Oublier d’insérer des éléments dans le fuselage avant de le refermer (les premières maquettes se passent souvent d’aménagements intérieurs à cause de ce « petit oubli »)
- -Et le très classique oubli de percer les trous dans les ailes pour fixer les charges externes (bombes, missiles, etc…). Problème que notre jeune prodige résoudra aisément en les plaçant n’importe où à grand renfort de colle dégoulinante.
Etape 2 : peindre certaines petites pièces, difficiles à manipuler, directement sur les grappes.
Ca, c’est ce que dit la notice. Rappelons que notre jeune artiste ne l’a pas lue, donc il ne le fait pas. De toutes façon, beaucoup de pièces ne seront pas peintes, parce que :
- -J’ai pas la bonne couleur,
- -Ca se verra pas (en réalité, ça se voit toujours…)
- -Je ne vois pas l’intérêt de peindre une pièce en gris foncé alors que le plastique est déjà gris (clair, soupir…)
Etape 3 : Détacher les pièces des grappes.
Rappelons que nous ne disposions alors que d’un cutter qui de toute façon ne coupe pas. Enfin, le plastique, parce que les doigts ça va, il les coupe. De toute façon, ça n’a pas vraiment d’importance, notre jeune maquettiste va préférer détacher les pièces (toutes dès maintenant, histoire d’en perdre un maximum) en les tordant au niveau des attaches. C’est bien plus pratique, rapide et moins dangereux que le cutter. Toutes les pièces auront donc de jolis trous aux niveaux des fixations (quand elles ne seront pas cassées) qui resteront tels des points noirs sur un nez, puisque le mastic ne fait parti de notre panoplie. Pas grave, la tonne de colle bouchera tout ça.
Etape 4 : l’assemblage du gros œuvre, ou « la mise en croix » (voir le chemin de croix…).
C’est là que commence véritablement le massacre. Notre jeune ami sort donc son tube de colle à maquette, dont le principe (il l’ignore encore et va l’ignorer pendant de longues, très longues années) consiste à faire fondre le plastique pour créer une soudure qui va se solidifier à l’air et rendre le collage très solide. On peut donc en déduire que :
- -Moins il y a de colle, plus le séchage est rapide et le bourrelet de soudure discret,
- -Les coulures sur le plastique le font fondre et sont difficiles à rattraper (amis débutant, c’est toutefois possible, nous verrons cela dans un prochain article),
- -S’il y a de la peinture sur les surfaces, la colle ne pourra pas faire fondre le plastique en dessous, et ça ne collera pas,
- -Il faut maintenir les pièces pendant que la soudure durcit à l’air.
Tout cela, notre jeune effronté l’ignore et pense que cette colle à maquette est une colle comme les autres (la UHU Stick ou la Cléopatra, et oui je vous l’ai dit, séquence nostalgie..), et que « yaka coller ». Voilà. D’où le drame.
Les ailes vont donc se voire tartinées de colle qui va joyeusement déborder de toutes parts quand elles vont être pressées contre le fuselage, et notre modéliste débutant va être sensibilisé à la patience en tentant de maintenir la dite aile en position pendant le séchage, avec ces deux mains. Sachant qu’on est parti pour des heures, vu la quantité de colle, notre jeune ami met son cerveau en ébullition pour trouver une solution. Il trouvera son salut avec un rouleau de scotch ou des élastiques qui se substitueront à ses mains, non sans remettre un petit peu de colle « pour être sûr que ça tienne ». Il retrouvera son assemblage solidifié le lendemain, s’il a réussi à patienter jusque là sans vouloir jouer un peu avec ce qui commence à ressembler à un avion…
Etape 5 : la peinture.
C’est là que l’on parfait le massacre.
Ca commence avant l’ouverture du pot, quand pour mélanger la peinture le modéliste débutant va le secouer énergiquement. A part pourrir l’intérieur du couvercle avec de la peinture, cette étape ne sert à rien, si ce n’est à rendre à terme le pot inutilisable parce que devenu impossible à refermer proprement. Ca continu avec l’ouverture du pot, dont le couvercle est à faire basculer avec un petit tournevis, progressivement et en tournant sur toute la périphérie du pot. Notre jeune impatient, lui, va prendre ce qui traine dans le tiroir de la cuisine (un couteau ou un ciseau), et en casser une première fois le bout trop fragile en faisant levier comme un bourrin en un seul point. Outre le fait que le fin couvercle d’acier sera tordu (en plus d’être couvert de peinture, cf. ci-dessus), le pot qui bien entendu sous l’effort va lui échapper des mains, va répandre son contenu sur un bon mètre carré. Vous vous souvenez de l’importance du papier journal sur la table du séjour ? Voilà, vous y êtes…
L’étape suivante, essentielle, qui consiste à mélanger proprement et longuement la peinture avec un bout de grappe par exemple, sera tout à fait ignorée puisque, rappelons-le, la peinture a déjà été mélangée en secouant le pot comme un dératé (ami débutant, pour ton info, elle ne l’est pas du tout…).
Vient la peinture elle-même. L’objectif du débutant va être de couvrir toute sa maquette en une seule couche, ce qui dors et déjà pose plusieurs problèmes :
- -Comment la tenir pendant la peinture (avec les doigts, où est le problème ? Soupir…),
- -Comment peindre la zone qui se trouve sous les doigts (le classique dilemme du carreleur qui se retrouve coincé dans le coin opposé de celui par lequel il a commencé, ça vous parle ?),
- -Comment faire pour que l’on ne voit plus le plastique par transparence sous cette peinture qui décidément ne couvre pas beaucoup…
Notre maquettiste, plein de ressources, trouvera une solution aux deux premiers points (solutions qui laisseront irrémédiablement des traces sur la peinture fraiche, en posant par exemple l’avion sur un verre pour pouvoir peindre la dérive qui servait à le tenir). Pour le dernier point, la solution s’impose d’elle-même, il lui suffit de mettre davantage de peinture. Hé, pas con… En langage de maquettiste, on n’appelle plus ça une peinture mais une barbouille, avec l’assurance de très belles coulures du bel effet.
Enfin, dernière subtilité qui aura échappé à notre artiste en herbe : profiter de sa séance de peinture pour peindre un petit bout de plastique inutilisé, afin de tester par la suite le séchage de la peinture. Ayant omis cette étape, il n’aura d’autre choix, pour s’en assurer, que de toucher toutes les demi-heures (rappelons que notre jeune modéliste est la patience même) sa maquette, laissant autant d’empreintes digitales dans une peinture décidément trop fraiche.
Toutefois fier de son œuvre (et c’est bien là le principal), il va pouvoir laisser tremper ses pinceaux trop gros (il faut voir la peinture des montants de la verrière, à main levée, pour s’en persuader) toute une nuit dans un verre de white spirit, pour en retrouver le poil irrémédiablement tordu le lendemain (le jeune maquettiste a une consommation frénétique de pinceau).
Etape 6 : les décalcomanies.
Pour le maquettiste expérimenté, c’est peut être l’étape la plus délicate. On le verra plus tard dans ce blog, elle nécessite une préparation très particulière des maquettes (lustrage et vernis) et plusieurs produits forts chers mais forts efficaces.
Pour le maquettiste débutant, c’est la plus simple. On découpe les motifs avec des ciseaux, en en entaillant un ou deux au passage, on les trempe dans un verre d’eau et roule ma poule !
Ce qui foire généralement à ce stade (une maquette de débutant souffre jusqu’au bout, vous dis-je…) :
- -La décalcomanie est laissée trop longtemps au fond d’un verre d’eau, se détache toute seule du support, subit une tentative désespérée de sauvetage et finie par se friper sur elle-même, devenant inutilisable. Celle là n’ira pas rejoindre l’avion mais l’évier (elle restera la plupart du temps noyée au fond du verre).
- -La décalcomanie n’est pas laissée suffisamment longtemps dans l’eau, est arrachée de force de son support et de brise sous cette pression injustifiée. Elle finira sur la maquette, à peu près reconstituée mais portera à vie une vilaine cicatrice et un méchant défaut d’alignement (genre cubisme…)
- -La décalcomanie est ôtée de son support avec un doigt sur lequel elle s’empresse de coller. Après moult jurons, et changement de support (l’autre doigt, le jean, le verre d’eau de nouveau puis enfin un pinceau), elle finira sur la maquette. Sans colle (le support en contient un peu), sans effet ventouse, pour se décoller de façon définitive quelques semaines plus tard.
Etape 7 : les finitions.
Dernière ligne droite (donc celle que notre maquettiste va s’empresser de bâcler). Il s’agit maintenant de mettre en place les derniers éléments qui pouvaient nous gêner pour la peinture.
On commence par la verrière, que l’on va coller comme le reste avec beaucoup trop de colle, sur un fuselage peint (vous avez bien suivi l’étape 4 ? c’est ça, ça ne colle pas…). Avec ceci de fâcheux que le pastique est ici transparent, et que les traces de colle, et bien on ne voit que ça.
Vient maintenant le train d’atterrissage, qui va souffrir exactement du même problème, puisque les petits tenons servant à son positionnement sont couverts de peinture. Notre jeune modéliste va donc placer ses éléments maquette retournée, avec beaucoup d’application. Après séchage (rappelons qu’il n’est qu’en première année de l’école de la patience, disons donc une demi-heure), l’avion est posé sur ces jambes, pour « voir ce que ça donne ». Un sourire aux lèvres, avec la satisfaction du travail bien fait, notre jeune maquettiste regarde fièrement son avion, puis se laisse porter par ses divagations d’enfant. Il s’imagine à bord, casque sur la tête, masque à oxygène serré sur le nez, bien brélé sur son siège éjectable, en train de livrer un combat tournoyant endiablé avec quelque ennemi imaginaire. La maquette tournoie elle aussi, car elle a - à cet âge, cette double vocation à être un objet d’exposition mais aussi un jouet (ce qui lui sera invariablement fatal dans les heures / jours / semaines qui viendront). Puis notre jeune pilote à la vocation naissante repose sa fière monture sur ces jambes avant d’aller se coucher, des rêves plein la tête. Hélas, la colle pas encore sèche ne pourra maintenir les jambes en place qui, sous le poids de la maquette, vont finir par fléchir pour donner à cette première réalisation une allure d’avion fin bourré.
Un peu déçu le lendemain au réveil, notre jeune maquettiste se promet de faire plus attention la prochaine fois. Elle lui plait malgré tout, cette maquette, et elle aura bien du mal à rester tranquillement en place sur cette étagère que sa fragilité devrait lui interdire de quitter.
Une passion est née, et des maquettes il y en aura d’autres. Mais celle là, ce sera pour toujours la première. Elle terminera peut être dans une poubelle, victime d’un tri drastique ou d’un déménagement. Mais elle restera toujours dans un coin de sa mémoire, même bien des années plus tard.
Pour moi, c’était un F4U-1D de Hasegawa.